QUAND L'AMOUR DU CHRIST SE FAIT PASSION
Ne serait-ce que par curiosité, il nous faut nous demander où Saint Colomban et sa dizaine de rudes compagnons ont bien pu puiser la force de leur entreprise missionnaire. Leur parcours européen en lui même est déjà étonnant. Depuis le centre-est de l'Irlande jusqu'ici, puis à Luxeuil en Bourgogne, avec retour obligé jusqu'à Nantes pour se retrouver plus tard sur les bords du Lac de Constance, à Bobbio non loin de Milan. Mais ce que représente à l'époque de tels déplacements, vous êtes à même de vous en rendre compte, et d'autant mieux que certains d'entre vous ont profité des voyages proposés ici-même « sur les pas de Saint Colomban». Par contre on a peut-être plus de mal à imaginer le caractère aléatoire de leur mission qui consistait à apporter l'Evangile à des populations qui ne le connaissaient pas ou qui l'avaient déjà reçu mais qui en vivaient mal. Ils proposaient l'Evangile, donc. Mais pas comme on a un peu tendance à le faire aujourd'hui: avec beaucoup de ménagements, un Jésus gentil qui n'en demande pas tant que « cette méchante morale chrétienne » encore enseignée par des esprits attardés! ». Saint Colomban et ses moines présentaient plutôt « la face nord» de l'ascension évangélique, je veux dire un Jésus qui invite à des choix de vie plutôt « radicaux» et propose des moyens plutôt style « chemin qui grimpe» et « porte étroite». Vous le savez bien, ces moines itinérants étaient pauvres, menaient une vie austère et s'imposaient de rudes mortifications. C'était une époque où l'on ne plaisantait pas avec « la pénitence» !
De plus, pour évoquer encore la rudesse de leur expédition, il faudrait mentionner l'insécurité qu'engendrait la situation politique de l'époque, à savoir la décomposition de l'Empire romain; l'insécurité aussi au sein de l'Eglise où l'on pataugeait dans les séquelles multiples d'une hérésie tenace appelée l'Arianisme qui consistait en rien moins que la négation de la divinité du Christ. Les grands conciles oecuméniques des cinq premiers siècles de l'Eglise avaient mis les choses au point, mais de vilains prédicateurs continuaient de répandre des erreurs sur la personne du Christ, la Sainte Trinité, Dieu ... Les conciles, ceux d'autrefois comme ceux d'aujourd'hui, mettent du temps à produire leurs effets ...
Qu'est-ce qui permit à ces moines irlandais de faire ce parcours qui n'avait vraiment rien d'une promenade, et de convaincre les foules, et de susciter une immense moisson de chrétiens, ceux qui l'étaient déjà recouvrant la pureté de la foi? Qu'est-ce qui permit à ces moines de mettre en place des institutions qui vont traverser les siècles? Saint Colomban a fondé le monastère de Luxeuil; l'un de ses disciples, Saint Gall, qui était resté en Helvétiec'est l'ancien nom de ce qu'est à peu près la Suisse aujourd'hui - fonda un monastère qui porte son nom, devenu par la suite un monastère bénédictin, aujourd'hui encore vivant et influent. Si vous passez par Luxeuil ou Saint Gall, ne manquez pas de faire la visite!
La réponse à ces questions, Saint Colomban la donne lui-même. Elle est surprenante. Elle n'a ni les accents d'une croisade, ni l'allure d'un programme de conquête. Ce n'est que l'expression d'une tendre passion pour Jésus dont la parole a illuminé son esprit et touché son coeur. Lui et ses compagnons, ils aiment Jésus, ces hommes rudes. Ils ont compris que l'Evangile de Jésus offre une chance de guérison aux hommes inquiets et à la société déstabilisée de leur époque. Et, pour parler de ce qui s'est passé par ici, c'est cela sans doute qui a conquis tous les bretons de l'époque, de Miniac-Morvan dans le diocèse de Rennes, à Brélidy et Plouvenez Quintin dans le diocèse de Saint Brieuc, comme aussi à Carnac, Malausac et Locminé dans le diocèse de Vannes, et à Quimperlé dans le diocèse de Quimper, et bien d'autres lieux ...
Ils avaient le cœur pris par « un tendre amour » ... Existe-t-il une expression de ce « tendre amour» ? La voici. Je vous lis quelques lignes d'une Instruction de Saint Colomban. Elle a pour titre « Le Christ source de vie» « Nous ne désirons rien recevoir d'autre que Toi, Jésus. Tu es notre tout: notre vie, notre lumière et notre salut; notre nourriture et notre boisson; notre Dieu. Inspire nos cœurs, je t'en prie, ô notre Jésus, par le souffle de ton Esprit, blesse nos âmes de ton amour ... De cette blessure salutaire, que Jésus-Christ, notre Dieu et notre Seigneur, bon médecin de notre salut, veuille nous blesser, jusqu'au fond de l'âme ... »
Telle est l'explication de leur folle aventure. Ces gens-là aimaient le Christ « d'un tendre amour» qu'ils avaient hâte de partager! C'est tout!
Tout en faisant découvrir le Christ à des populations entières et en leur apprenant à le suivre, ils défrichaient des régions insalubres, ils faisaient reculer les violences et l'injustice, ils éduquaient, préparant ainsi d'autres effets bénéfiques du christianisme. Ils faisaient oeuvre de civilisation. Les historiens spécialistes de cette époque de la charnière des VIe-VIIe siècle désignent Saint Colomban comme « le plus grand homme de son temps»
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Quelle est la leçon pour nous, et très précisément pour nous qui participons à ce Pardon de Saint Coulomb?
C'est que vraiment la fidélité au Christ- disons le christianisme- est une chance pour le monde, y compris dans sa situation présente. Notre Pape Benoît XVI en administre la preuve dans l'encyclique sociale du 29 juin, intitulée « L'amour dans la vérité» où il montre que l'amour éclairé par la vérité, dont Jésus s'est fait le témoin dans sa vie terrestre, et surtout par sa mort et sa résurrection, est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l'humanité tout entière. Il définit d'abord ce qu'est cet amour que l'Ecriture appelle « charité» - un nom qu'il ne faut pas perdre, même s'il a donné cours à des contrefaçons, parce qu'il en signale l'origine et en dit l'originalité. Cet amour-là, écrit le Pape, est « une force extraordinaire qui pousse les personnes à s'engager avec courage et générosité dans les domaines de la justice et de la paix, une force qui a son origine en Dieu, Amour éternel et vérité absolue» (n.1) ... Puis, prenant un à un les grands dossiers actuels du développement humains, il les étudie, non seulement en fonction des ambitions légitimes ouvertes par les progrès des sciences et des techniques, mais compte-tenu des formes de la pauvreté dont nous ne venons pas à bout, et des détresses qui nous accablent et devant lesquelles nous pouvons être tentés de baisser les bras.
Cette Encyclique est un immense plaidoyer pour l'éthique, c'est-à-dire pour la référente en toutes choses à une Loi de vie digne de ce nom et non pas à la jungle des conflits d'intérêts et des ambitions délirantes. Voici ce qu'écrit Benoît XVI « Pour fonctionner correctement, l'économie a besoin de l'éthique, et non pas d'une éthique quelconque mais d'une éthique amie de la personne» (n.45) et il montre que l'Evangile en est l'âme et le ressort. Les temps ont changé depuis Saint Colomban, où l'on ne s'exprimait pas en termes de développement, certes, mais où le christianisme déjà ouvrait des chemins d'humanité. Benoît XVI avec profondeur et gravité prolonge ce même propos: « la plus grande force qui soit au service du développement, c'est un humanisme chrétien que ravive la charité et que guide la vérité, l'une et l'autre accueillies comme des dons permanents de Dieu» (conclusion).
Nous nous demandons parfois, devant les si vastes problèmes auxquels sont confrontés aujourd'hui les gouvernants de tous les pays du monde, si la foi venue de si loin derrière nous, peut être de quelque secours. Le Pape nous montre dans cette Encyclique que le monde en ce temps, plus que jamais, a besoin des chrétiens. Et des chrétiens, non seulement parce qu'ils ont des idées, mais tout simplement parce qu'ils prient. Le monde a donc besoin même de ce pèlerinage que nous sommes en train d'accomplir! « Le développement a besoin de chrétiens qui ont les mains tendues vers Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que l'amour riche de vérité d'où procède l'authentique développement n'est pas produit par nous mais nous est donné... Le développement suppose une attention à la vie spirituelle, une sérieuse considération des expériences de confiance en Dieu, de fraternité spirituelle dans le Christ, de remise de soi à la providence et à la Miséricorde divine, d'amour et de pardon, de renoncement à soi-même, d'accueil du prochain, de justice et de paix. Tout cela est indispensable pour transformer les coeurs de pierre en coeurs de chair (Ez 36,26) au point de rendre la vie sur terre divine et, par conséquent, plus digne de l'homme. » (Conclusion)
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Rendons grâce pour cet enseignement dont je vous recommande de prendre connaissance. « C'est la conscience de l'Amour indestructible de Dieu qui nous soutient dans l'engagement rude et exaltant en faveur de la justice, du développement des peuples », écrit Benoît XVI. Des paroles qu'illustraient déjà la vie et l'oeuvre de Saint Colomban!
